Dissonant

© Manon de Boer, 
Dissonant, 2010
. Courtesy of Manon de Boer and Jan Mot, Brussels.

Tourné en 16mm, le film Dissonant (2010) ouvre sur une musique diffusée sur un écran noir. Il s’agit du premier mouvement de la Sonate no.2 pour violon seul datée de 1923, du compositeur belge Eugène Ysaÿe. Apparaît ensuite un gros plan de Cynthia Loemij, alors danseuse au sein de la compagnie Rosas, écoutant attentivement la composition musicale de deux minutes, sur laquelle elle n'a jamais eu l'occasion de danser jusqu'à présent. Sa silhouette est encadrée par les grandes fenêtres d'un studio de danse. À la fin de la sonate, Loemij arque soudainement son corps vers l'arrière et se jette dans une série de mouvements exécutés sans musique pendant les huit minutes suivantes, parfois interrompus par des passages noirs, pendant lesquels Manon de Boer change la pellicule, tout en laissant la piste audio de l'enregistrement en cours. C’est donc la longueur de la pellicule qui définit en quelque sorte le montage. L’absence momentanée d’images crée quant à elle une tension et atteste de la présence de de Boer, qui devient performative.

Loemij répète la séquence dansée 6 fois pendant la durée du film. La répétition permet d’apprécier les subtilités et les variations de sa chorégraphie. De Boer s’intéresse aux souvenirs physiques ou comment la danseuse se souvient dans ou par son corps des chorégraphies, des mouvements, des gestes. Elle explore également le potentiel créatif de la répétition. On retrouve d’ailleurs souvent une structure cyclique ou répétée dans les films de l’artiste, où l'interprète reprend une même action pour la caméra et où les spectateur.ice.s revoient des séquences similaires.

Dissonant peut être considéré comme une sorte de jeu de mémoire, dans lequel la danseuse écoute d'abord attentivement la Sonate d'Eugène Ysaÿe, puis suit une partition intériorisée et donc inaudible pour les spectateur·ice·s qui assistent dès lors à une forme d'écoute corporelle, où la musique est évoquée mais absente. Par contre, les bruits des mouvements de Cynthia Loemij, qui auraient habituellement été cachés par la bande-son au cinéma, sont ici rendus audibles, tout comme sa respiration et les bruits de la caméra 16 mm, qui créent une partition musicale alternative.

La concentration intense de Cynthia Loemij dans Dissonant est commune à de nombreux protagonistes des films de de Boer. Qu’il s’agisse de l'écoute, de la lecture ou de la mémoire, ses personnages sont souvent perdus dans des tâches liées au temps et leur concentration témoignent pour de Boer d’une forme d’écoute qui ne se fait pas seulement avec les oreilles, mais avec tout le corps et l'esprit.