Fuses
Carolee Schneemann
À la croisée du home movie et du film d’artiste, Fuses (1964-1967) de Carolee Schneemann conjugue la pratique artistique à l’activité érotique. Manifeste cinématographique, ce film reflète les prises de position féministes de l’artiste américaine et ses réflexions sur la sexualité féminine.
Artiste performeuse, plasticienne et cinéaste, Carolee Schneemann (1939-2019) est une figure pionnière dans les domaines de la performance et du body art. Peintre de formation et proche des mouvances néo-dadaïste et Fluxus, l’artiste américaine bouscule la scène du cinéma underground new yorkais au milieu des années 1960. Ses films, parmi les plus radicaux de cette période, interrogent la perception du corps féminin. Indissociable de ses œuvres, le corps de l’artiste apparait comme le lieu d’inscription et d’énonciation d’une revendication visant à dépasser les archétypes de représentation traditionnelle du modèle. À la croisée du home movie et du film d’artiste, son cinéma reflète ses prises de position féministes et ses réflexions sur la sexualité féminine. Fuses (1964-1967) dévoile l’intimité du couple qu’elle forme alors avec le compositeur américain James Tenney et leur chat Kitch, conjuguant ainsi la pratique artistique à l’activité érotique. Réalisé en réponse aux films Cat’s Cradle (1959) et Loving (1957) du cinéaste américain Stan Brakhage – deux études érotiques dans lesquelles elle apparaît déjà avec James Tenney –, ce manifeste cinématographique s’émancipe des formes de détachement esthétique propre au cinéma expérimental pour embrasser, sans aucun filtre, la réalité des corps et de la sexualité. Avec Fuses, Schneemann propose sa propre vision de l’érotisme hétérosexuel et y aborde ce qu’elle considère comme la répression du principe féminin. Privilégiant un point de vue narratif neutre, sans jugement, l’artiste affranchit la représentation des corps, principalement féminins, des tabous de son époque. Silencieux et formellement hétérogène, ce collage explicitement pornographique alterne les séquences colorées à la main et d’autres brûlées, trempées dans des bains d’acide ou encore superposées. Ce film iconique inaugure une forme jusqu’alors inédite, entre sensualité et tactilité des images, qui dévoile de manière radicale la relation entre le film et le corps.