Potential for Shame
Potential for Shame (2022) est une installation monumentale comprenant sept bas et hauts-reliefs muraux en jesmonite, métal et néon. Quatre voitures mécaniques téléguidées évoluent dans l’espace d’exposition et produisent des sons en réaction à la présence des visiteurs grâce à un système d’intelligence artificielle conçu en collaboration avec Julien Bouille pour la programmation robotique, et Pierre Dozin pour la composition sonore.
Présentée dans une version plus modeste sous le titre de Splendeur et Décadence des Sirènes à la New Space (2020) de Liège puis à la Kunsthal de Gand (2021), Potential for Shame croise les sexualités réprimées et les figures autoritaires. Le sujet de cette installation résulte du contexte spécifique de l’invitation à la New Space qui abritait autrefois le garage de la police judiciaire de Liège, qui a beaucoup inspiré l’artiste.
Potential for Shame, titre de l’installation, évoque ainsi les jugements portés sur les pratiques sexuelles libres dont certains policiers pourraient avoir honte aux yeux de leurs pairs. Mais le titre peut aussi s’interpréter autrement, le potentiel honteux peut s’incarner dans les regards jugeant ces pratiques, qui « confrontent les corps à la violence qu’impose la pensée normative et punitive » comme le dit Aline Bouvy.
Par leur sujet et leur aspect, les bas-reliefs font référence à la peinture monumentale Le monde clair des Bienheureux, peint par Elisarion, dans la villa Monte Verità à Ascona en Suisse. Elle est l’unique trace du Clarisme, religion utopique transgenre inventée dans les années 1920 en Allemagne qui prônait un retour à la nature, à l’égalité des genres à travers l’émancipation des femmes et des homosexuel.le.s. Potential for Shame répond à Urine Mate 2 et Strategy of Non-Cooperation VI, autres œuvres de l’ensemble d’Aline Bouvy présentes dans collection de la Fondation KANAL traitant des corps masculins nus, des pratiques queer du cruising et plus largement, des minorités.
Formellement, les panneaux de Potential for Shame rappellent aussi une série de hauts-reliefs provenant d’un tout autre contexte : celui de l’Athénée de Waha de Liège, école construite par une philanthrope liégeoise dans les années 30 pour permettre aux jeunes filles d’accéder à l’enseignement secondaire. Malgré l’hypersexualisation des corps d’adolescentes sur la frise - courant pour l’époque - le symbole émancipateur que représente l’Athénée de Waha a beaucoup inspiré Aline Bouvy.
Potential for shame fait aussi écho à l’invisibilisation des femmes dans l’espace public. Les urinoirs en jesmonite rappellent la domination numéraire et visible des lieux d’aisance masculins par rapport à ceux offerts pour les femmes. Aline Bouvy les considère comme des « protubérances architecturales », des éléments qui se retrouvent en ville, en extérieur et affirment physiquement une masculinité écrasante. Or dans son installation, les urinoirs placés à l’envers sont détournés de leur symbole phallique : ils prennent même étrangement la forme d’une vulve, opérant un « renversement queer » (« Renversements queer », Denis Gielen, Cruising Bye, 2022).
Au centre de l’espace, le ballet des voitures incarne l’emprise de la domination des forces de l’ordre sur les mœurs et l’espace public tout entier. Les voitures téléguidées sont programmées pour reproduire les mouvements caractéristiques des patrouilles policières d’encerclement ou de dispersion pendant les manifestations. Entreprenant des chorégraphies de manière autonome, elles s’interrompent dès que les visiteurs pénètrent la salle pour entrer en interaction avec eux. L’artiste met en lumière le développement exponentiel des dispositifs de surveillance qui soutiennent les systèmes répressifs contemporains. Composée par l’ingénieur son et musicien Pierre Dozin, la musique que produisent les voitures oscille entre le chant des sirènes croisées par Ulysse et les sirènes des voitures de police. Elle interpelle et alerte d’un danger : celui du contrôle répressif croissant.