Kinshasa-(N)tonga
Entre futur et poussière
Confrontant le plan et sa grille rigide à l'humain et ses sensations fluides, ce projet combine les nombreux imaginaires qui entourent Kinshasa, une mégapole de plus de dix millions d'habitants. Vaste ville tentaculaire souvent taxée d'individualisme pour son côté SAPEUR, Kinshasa s'est constituée par strates successives datant de plusieurs siècles. Les récits d'ambition, de nationalisme, de violence, d'innovation technique et de transformation économique, qui se déroulent sur les grandes avenues et dans les palais parlementaires, s'entrecroisent avec ceux des espaces bricolés, de l'auto-construction et de l'intimité. Cascadant les unes sur les autres, les premières traces d'implantation humaine le long du fleuve datent en effet de 500 ap JC, tandis que la ville moderne s'est développée à partir de 1881. Cette ville globale, qui peut se targuer d’être une plaque tournante du commerce mondial, s’est construite de manière anarchique malgré d’ambitieux plans urbains proposant de la structurer. L’espace urbain est resté marqué par ces premiers plans urbanistiques qui ont même perduré bien après l’indépendance, notamment avec le phénomène de bunkerisation des habitats privés. Des plans modernistes et des bâtiments inachevés sont parsemés d'objets quotidiens tels que tabourets ou calebasses. Traces de survivances d'habitudes "rurales", ils rappellent les racines de Kinshasa tout comme le baobab qui marque le vieux village Ngandu de la ville où se trouvent toujours la tombe du chef Mfumu Ngandu et la maison en terre de ses parents. Des œuvres d'art contemporain, de design et des documents d'archives viennent encore compléter une vision intimiste de la capitale congolaise.
Ainsi, l'exposition vise à révéler la ville à travers la pluralité des “manières de faire et de produire” qui ont permis à ses habitants de transcender les définitions rigides de son identité et de son fonctionnement. Ntóngá - “aiguille” ou "chantier" en français - devient alors un terme privilégié qui, paradoxalement, rend compte de la façon dont le travail en construction déstabilise le paradigme architectural "constructiviste" avec lequel le schéma complet des représentations de la pensée occidentale a été configuré. Comme le montrent les œuvres d'art et les objets de l'exposition avant que Kinshasa ne devienne le terrain de jeu de fantasmes utopiques, souvent suivis de cauchemars politiques - la ville était déjà une ville de rêves et de poétique.
Héritiers d’une tradition séculaire artisanale les artistes kinois portent également dans leurs pratiques respectives un puissant imaginaire sur ce patrimoine partagé hérité de la colonisation. Ce patrimoine est toutefois questionné sous divers aspects : questionnement sur ces lieux de mémoire dans le contexte sociétal actuel de Gosette Lubondo, réflexion sur les bâtiments coloniaux et de ceux construits sous Mobutu des photographies d’Azgard Itambo, constitution d’une archive à partir de la collection de photographies de Kinshasa datant des années 1900 à 1970 par Magloire Mpaka Banona, questionnement du passé colonial de la ville par la performance Léopoldville mourning de Prisca Tankwey, mise en lumière de pratiques de l’autoconstruction et des utopies dans The Tower de Sammy Baloji et Filip de Boeck ou encore par les dessins futuristes sur la ville de Mega Mingiedi, etc
En dialogue avec ce dynamisme artistique kinois sera également proposé une réflexion sur le travail architectural mené par les architectes Eugène Palumbo et Fernand Tala Ngai, qui ont beaucoup œuvré sous Mobutu lors du recours à “l’authenticité” promu dans les années 70. Visant à effacer toutes traces du colonialisme, cette doctrine se manifeste par le démantèlement des monuments et la modification des noms coloniaux. L'œuvre de Palumbo, comprenant un grand nombre de projets officiels et privés, est restée en phase avec les courants de l'architecture moderne, tout en cherchant à incarner les préceptes de Mobutu d’une culture hypothétiquement "authentique".
Enfin, la scénographie, pensée sous la forme de Kinshasa-(N)tóngá, une ville en train de se faire, une ville en chantier, crée un espace où les œuvres des artistes se connectent aux archives et aux objets issus d’un autre temps.